On a grandi de 10 centimètres en moins de 100 ans, c’est spectaculaire, mais que s’est-il passé exactement ? 

Cher(e) ami(e) de la Santé,

J’ai reçu un commentaire qui m’a surpris.

Voici ce que m’a écrit Elisabeth B, une fidèle lectrice :

« Vous nous dites que l’augmentation de la taille des Occidentaux est liée à une meilleure alimentation, mais qu’est-ce qui nous le prouve ? »

C’était une réaction à ma dernière lettre.

Je vous parlais d’un phénomène majeur, largement passé sous silence : l’augmentation spectaculaire de la taille des Occidentaux depuis le 19ème siècle.

Et j’attribuais l’essentiel de ce progrès à l’alimentation : il semble évident que le corps humain ne peut pas gagner 10 à 15 centimètres sans être mieux nourri.

Je ne m’attendais donc pas à l’objection d’Elisabeth.

Mais elle m’a permis de creuser un peu le sujet… et j’ai découvert des choses intéressantes.

Je vous en parle dans une seconde – mais d’abord, je voudrais vous redire pourquoi j’insiste tant sur cette histoire de taille.

Regardez ces courbes : croyez-vous que ce soit une coïncidence ?

Le graphique ci-dessous montre la croissance spectaculaire de la taille des Européens depuis le milieu du 19ème siècle[1] :

Évolution de la taille des populations masculines de 15 pays européens, entre 1856 et 1980

Maintenant, regardez bien cet autre graphique.

Voici, dans les mêmes pays, et sur la même période, l’évolution de la mortalité infantile :

Évolution du taux de mortalité infantile de 15 pays européens, entre 1856 et 1980

Comme vous le voyez, la mortalité infantile s’est effondrée… à mesure que la taille des Européens augmentait !

Et c’est tout sauf une coïncidence.

De meilleures conditions de vie (et en particulier une meilleure alimentation) ont permis à la fois :

  • D’atteindre notre potentiel de taille maximal…
  • Et de ne plus voir nos enfants en bas-âge mourir massivement !

C’est capital, car c’est la preuve que ce qui compte le plus pour notre santé, ce n’est pas tant les soins médicaux que la qualité de notre « terrain », et notamment la puissance de notre système immunitaire.

Je vais vous le démontrer plus avant – mais il faut d’abord écarter un malentendu.

Non, ce ne sont pas les gènes !

Si nous avons « grandi » depuis le 19ème siècle, cela n’a rien à voir avec la génétique.

Nos gènes n’ont pas pu évoluer drastiquement depuis 150 ans – ils ne peuvent donc pas expliquer pourquoi nous avons gagné entre 10 et 15 centimètres.

Je le précise, car tout le monde sait que les gènes ont un rôle important sur notre taille.

Si les hommes sont plus grands que les femmes en moyenne, c’est pour des raisons génétiques.

De même, si Madame X est plus grande que sa sœur Y… si Monsieur A est plus petit que son frère B… c’est d’abord pour des raisons génétiques.

Mais les gènes ont une limite : ce qu’ils nous donnent, c’est seulement une taille maximale.

Nos gènes déterminent notre « potentiel », qui sera réalisé ou non en fonction de notre environnement.

Un peu comme un grain de blé, qui prospère dans un sol fertile, mais pas dans un sol aride, c’est notre environnement qui détermine si nous allons atteindre notre plein potentiel de taille.

D’ailleurs, encore aujourd’hui en 2023, malgré des conditions de vie infiniment plus favorables qu’il y a un siècle, « l’environnement » joue encore un rôle dans la taille des Occidentaux !

En effet, on estime que la taille est aujourd’hui génétiquement déterminée à 80 %. Ce qui veut dire qu’une part non négligeable de la différence de taille entre les gens (20 %)… est liée à des facteurs « environnementaux ».

Mais quels sont ces facteurs environnementaux, exactement ?

C’est un fait : l’environnement toxique affecte notre taille

En dehors de l’alimentation, un autre facteur a une certaine influence sur notre taille : l’environnement toxique.

Par exemple, on sait que l’alcool pendant la grossesse affecte négativement le développement de l’enfant – et donc sa taille[2].

De même, une mère qui fume beaucoup pendant la grossesse peut faire perdre 1 centimètre de taille à son enfant[3].

Donc, l’exposition à des toxiques (pollution environnementale, cigarette, perturbateurs endocriniens, métaux lourds, alcool…) joue certainement un rôle sur la taille d’un humain, in utero et pendant l’enfance.

Ainsi, quand on pense à l’intense pollution atmosphérique de la révolution industrielle (les fumées des usines de charbon), on peut aisément imaginer que l’amélioration de la qualité de l’air a joué un rôle dans la hausse de la taille des Occidentaux au 20ème siècle.

Au rôle central de l’alimentation, il faut donc ajouter le rôle potentiel des toxiques.

Mais quelle place cela laisse-t-il à la médecine ?

Progrès nutritionnels ou progrès de la médecine ? 

Si l’on écoute les principaux chercheurs sur le sujet, la hausse spectaculaire de la taille des Occidentaux ne serait pas seulement liée à l’alimentation… mais aussi à l’amélioration des « soins » (de la mère et de l’enfant).

Cette position est bien résumée par Mariachiara Di Cesare, chercheuse en santé publique à l’université de Middlesex, et auteure d’une grande étude sur la taille des populations[4] :

« L’évolution de la taille est un indicateur de santé publique, car il reflète le fait qu’une personne a été bien nourrie, bien traitée et soignée durant son enfance et aussi le fait que la mère était en bonne santé »[5].

Première observation : cette citation confirme que l’importance de l’alimentation ne fait pas débat.

Si la taille des populations a augmenté, c’est « qu’il y a moins de carences alimentaires qu’avant chez les plus jeunes dans le monde », explique un autre auteur de l’étude[6].

À l’inverse, certaines populations africaines, comme au Rwanda, Ouganda et en Égypte, ont « rapetissé » de quelques centimètres depuis les années 1980.

Là encore, l’explication est d’abord nutritionnelle, selon la chercheuse Mariachiara Di Cesare : « C’est un signal grave qui souligne à quel point, dans ces pays, les enfants souffrent de carences alimentaires ou n’ont pas accès à de l’eau de qualité suffisante ».

Le rôle central de l’alimentation relève donc du consensus scientifique – et du bon sens.

En revanche, personnellement, j’ai un gros doute sur l’importance de la « qualité des soins ».

Est-on plus grand parce qu’on a été moins malade dans l’enfance ?

En quoi des progrès médicaux pourraient-ils améliorer notre taille ?

Quand on y réfléchit un peu, ce n’est pas évident.

Certes, des études montrent que des enfants atteints d’une maladie grave chronique risquent de le « payer » par un 1 ou 2 centimètres de moins à l’âge adulte.

Mais les maladies en question sont souvent des maladies gastro-intestinales (comme la maladie cœliaque, ou des maladies inflammatoires de l’intestin)… qui conduisent à moins bien absorber les calories et les micro-nutriments[7]. Donc, on retrouve l’importance de la nutrition[8].

Et de toutes façons, ces 1 ou 2 centimètres sont loin des 10-15 centimètres gagnés sur 150 ans.

Qu’en est-il des maladies infectieuses, si répandues au début du 20ème siècle ? Ont-elles eu un impact sur notre taille ?

Une chose est sûre : ce n’est plus le cas de nos jours. On ne trouve pas de preuve aujourd’hui qu’une ou plusieurs infections dans l’enfance affectent notre taille adulte[9].

Mais il faut noter que les maladies infectieuses étaient nettement plus graves au début du 20ème siècle.

Par exemple, beaucoup d’enfants mouraient encore de la rougeole ou de la coqueluche – alors que ces maladies sont devenues bégnines depuis les années 1960.

Donc, il est possible que le fait d’être moins malade – et moins gravement malade – pendant l’enfance ait pu nous aider à « grandir ».

C’est en tout cas ce que prétend un article scientifique, publié par un économiste aux presses d’Oxford[10].

Pour son auteur, la hausse de la taille des Européens au 20ème siècle s’explique en bonne partie par le recul des grandes maladies[11].

Et je reconnais, en effet, qu’il y a pu y avoir un cercle vertueux : les progrès de l’alimentation ont renforcé le système immunitaire des nourrissons, diminué la gravité des maladies infectieuses…

…et, par ce biais, peut-être aidé encore davantage les enfants à grandir : pas seulement parce qu’ils étaient mieux nourris, mais parce qu’ils étaient moins gravement malades à un moment clé de leur croissance.

Prenons l’exemple des diarrhées, bénignes aujourd’hui, mais très graves à l’époque – c’était la troisième cause de mortalité en 1900.

Lorsque les diarrhées frappaient les nourrissons, il est possible qu’elles aient pu affecter leur taille à l’âge adulte : la déshydratation prolongée cause peut-être des dégâts durables.

Donc, le recul des maladies, en soi, a pu nous aider à « grandir » au 20ème siècle.

Et il est exact, rappelons-le, que l’alimentation n’explique pas entièrement le recul des grandes maladies.

Dans le cas des diarrhées, par exemple, l’assainissement des eaux (les égouts notamment) a certainement contribué à les rendre moins fréquentes et moins graves.

Comme on l’a vu, outre l’alimentation, d’autres progrès ont joué un rôle dans le recul des maladies infectieuses, comme :

  • L’amélioration de l’air ;
  • L’amélioration de la qualité de l’habitat (moins humide, plus aéré, mieux chauffé…) ;
  • Une plus grande attention à l’hygiène (lavement des mains, pasteurisation du lait) ;
  • Etc.

Si les maladies infantiles (graves) affectent réellement la taille à l’âge adulte, cela veut dire que ces progrès sociétaux ont également joué un rôle dans la hausse de la taille des Occidentaux, en plus des progrès alimentaires.

D’accord.

Mais cela ne prouve pas – toujours pas ! – que la hausse de la taille des Occidentaux pourrait s’expliquer par le progrès des « soins ».

Progrès médicaux ? Quels progrès médicaux ?

Rappelons que les Occidentaux ont le plus grandi avant 1950… soit avant la généralisation des deux grandes innovations médicales du 20ème siècle : les vaccins et les antibiotiques.

Par ailleurs, les maladies infectieuses ont commencé à faire beaucoup moins de ravages avant ces progrès de la médecine.

Je vous remets ce graphique, qui montre l’évolution de la mortalité liée aux grandes maladies infectieuses dans la première moitié du 20ème siècle, aux États-Unis (courbe rouge, en haut) :

Évolution du nombre de morts liées à sept maladies infectieuses aux Etats-Unis, entre 1900 et 1970

On voit que les deux maladies les plus graves (deux courbes du haut) sont la tuberculose et les grippes/pneumonies.

Or, comme je vous l’ai écrit dans ma dernière lettre, les États-Unis n’ont jamais vacciné les enfants contre la tuberculose, et les antibiotiques n’ont commencé à être répandus qu’après 1945. Ces innovations médicales ne peuvent donc pas expliquer la chute de la mortalité dans la première moitié du 20ème siècle.

Et personne n’est capable de citer la moindre « innovation médicale » datant du début du 20ème siècle, qui aurait permis de lutter contre les maladies infectieuses.

Autre exemple, peut-être plus anecdotique : sous l’occupation, entre 1940 et 1945 en France, on a connu une recrudescence de la mortalité infantile.

Pourquoi ? Par une pénurie de soins médicaux ?

Non. Selon les pédiatres de l’époque, c’était essentiellement lié à la « sous-alimentation des femmes enceintes (liée à des rations insuffisantes) »… ce qui causait des bébés plus fragiles, davantage prématurés ou ayant un poids de naissance plus faible[12].

On retrouve ici l’importance de l’alimentation de la mère, qui est double pour la santé et la taille de son enfant[13] :

  • Pendant la grossesse, pour un enfant de bon poids avec un système immunitaire solide ;
  • Après l’accouchement, pour un allaitement de qualité qui permet une croissance normale et une protection contre les maladies infectieuses.

Quand on réalise l’importance centrale de l’alimentation, on peut (enfin !) remettre la médecine moderne à sa juste place.

À votre avis, de quoi ont le plus besoin les pays pauvres, aujourd’hui ?

Et on comprend mieux les drames qui se jouent, aujourd’hui en 2023, dans les pays en développement.

Ainsi, dans les pays pauvres, la pneumonie est encore un facteur majeur de mortalité infantile.

Mais pourquoi les enfants meurent-ils de pneumonie là-bas, et pas ici ?

Pour la même raison qu’ils mourraient en Occident, au début du 20ème siècle.

Ce n’est pas d’abord un problème de « vaccins » ou de « soins médicaux ».

Dans les pays en développement, plus de la moitié de la mortalité par pneumonie est liée… à la malnutrition aigüe[14] – et plus précisément le child wasting, un terme qui désigne des enfants souffrant d’un amaigrissement grave et anormal.

Quant aux autres enfants victimes de pneumonie, même s’ils ne sont pas dans cet état critique de child wasting, ils manquent certainement de micro-nutriments essentiels pour le système immunitaire (fer, vitamines A, C, D, etc.)

Alors, de quoi ces enfants ont-ils le plus besoin, à votre avis ? De vaccins, ou d’une meilleure nutrition ?

Pourquoi l’Organisation mondiale de la Santé semble-t-elle tout miser sur la vaccination ?

On en reparle très vite, restez connecté.

Bonne santé,

Xavier Bazin

Sources

[1] https://www.researchgate.net/publication/228209375_How_Have_Europeans_Grown_so_Tall/link/5494da670cf29b944821026c/download

[2] https://www.ncbi.nlm.nih.gov/pmc/articles/PMC2696967

[3] https://www.ncbi.nlm.nih.gov/pmc/articles/PMC6414646

[4] https://elifesciences.org/articles/13410

[5] https://www.france24.com/fr/20160726-taille-evolution-hollande-sante-enfance-adulte-maladie-nourriture

[6] https://www.france24.com/fr/20160726-taille-evolution-hollande-sante-enfance-adulte-maladie-nourriture

[7] https://www.ncbi.nlm.nih.gov/pmc/articles/PMC1511312/

[8] https://www.ncbi.nlm.nih.gov/pmc/articles/PMC1511312/

[9] https://www.ncbi.nlm.nih.gov/pmc/articles/PMC1511312/pdf/archdisch00620-0028.pdf

[10]https://www.researchgate.net/publication/228209375_How_Have_Europeans_Grown_so_Tall/link/5494da670cf29b944821026c/download

[11] L’auteur observe que la mortalité infantile se produit en même temps que la hausse de la taille des Européens… et il en conclut que c’est parce qu’il a y moins de maladies (qui causent la mortalité infantile) que nous sommes plus grands. Mais c’est largement inverser la cause et l’effet ! Comme on l’a vu, les progrès de l’alimentation ont joué rôle majeur, en même temps, sur 1) La baisse de la mortalité infantile (car l’enfant bien nutri a un système immunitaire plus robuste pour faire face aux infections) ; et 2) la hausse de la taille des populations – parce qu’un enfant bien nourri a une meilleure croissance.

[12] https://books.openedition.org/pur/20108?lang=fr

[13] https://www.jstor.org/stable/3091628

[14] Le “child wasting” – enfant gravement amaigri – est lié à des carences nutritionnelles aigues. https://www.healthdata.org/research-article/age-sex-differences-global-burden-lower-respiratory-infections-and-risk-factors

49 Commentaires

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49 réponses

  1. Merci pour ces analyses très intéressantes.

    Que pensez-vous des études qui affirment que les personnes plus petites vivent plus longtemps ? On sait que c’est vrai pour certaines espèces animales.

  2. Bravo et merci encore pour vos décryptages, analyses que vous synthétisez de manière toujours limpide et éclairante.

    1. COMME C’EST INTÉRESSANT. J’ADORE CE REPORTAGE QUI ME FAIT ÉALISER, CE QUI, MINIMALEMENT DOIT ÊTRE POUR LA SANTÉ DES ENFFANTS QUI SOUFFRENT D’UNE MAUVAISE NUTRITION. EST CE RÉALISTE DE POUVOIR DONNER UN MINIMUM, À TOUS LES MOIS, POUR LA SURVIE. AVOIR FAIM ET SOIF… SANS CELA LE TAUX DE MORTALITÉ AUGMENTE. ET, EST-CE VÉRIDIQUE, QUE DES SOMMES DES SOUS ET QUE CEUX=CI SE RENDENT SUR L’ENDROIT PROMIS… J’AI DE FORTS DE FORTS DOUTES À CE SUJET.

  3. Bonjour
    Je pense que les conditions de travail ont joué : le travail est moins physique qu’autrefois ,moins dur et laissé le corps grandir .on sait que l’on grandit en position allongée..

  4. Merci pour cette analyse. quel dommage de ne pas parler de la surpopulation. Et des 4 à 5 milliards de gens en trop pour notre planète

    1. bonjour
      Si vous pensez qu’il y a trop de gens sur terre, vous vous suicidez :ça en ferait déjà un de moins…!
      il faut réfléchir…!
      cordialement
      Bernard

  5. L’évolution de la taille humaine est également due au prolongement des études au delà de 11 ans et au recul d’entrée dans la vie active. N’oublions pas que des enfants de 12 ans effectuaient des travaux pénibles sans machines ce qui anéantissait leur croissance.

  6. est-ce que la consommation de lait de vache a contribué à l’augmentation de la taille moyenne ? (je fais allusion aux facteurs de croissance contenus dans le lait de vache).
    merci

  7. Je lis votre article avec attention et crois également que l’alimentation joue un rôle dans la croissance des Occidentaux mais pas forcément une alimentation saine car elle est aussi largement composée d’hormones artificielles, j’ai l’impression que nous sommes tous nourris (que nous le voulions ou pas) aux OGM d’une façon ou d’une autre, d’où le développement des cancers?

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